Alain Tercinet, dont c’était la dernière anthologie artiste pour Frémeaux, n’était pas homme à manier la comparaison tapageuse. Ce n’est donc pas sans raison qu’il invoque dans ses lumineuses notes de livret celle du trompettiste David Amram : « A l’instar de Django Reinhardt, Bobby Jaspar a été un des premiers musiciens du jazz qui, venu d’un arrière-plan complètement européen, créa un langage propre au bouquet bien spécifique ». Ce rapprochement situe bien Bobby Jaspar dans l’histoire de cette musique qu’il aura embrassée des deux côtés de l’Atlantique avec une égale réussite, à défaut de parfaite reconnaissance. Disciple raisonnable de Lester Yong, le saxophoniste et très remarquable flûtiste belge aura d’abord marqué de son empreinte la scène parisienne des années 50 et ce qu’elle compte de meilleures formations (Christian Chevallier, André Hodeir). Puis, fraichement uni à la chanteuse Blossom Dearie, c’est à New York qu’il va peu à peu se faire une place au soleil, entre cool et modernistes avancés : Jay Jay Johnson, sur la recommandation d’un certain Miles Davis, le lance. Milt Jackson, Helen Merrill, Donald Byrd, Wynton Kelly, Tal Farlow et même Elvin Jones – dont le feu pouvait paraître antinomique à son lyrisme bien spécifique – font plus que suivre. La sélection discographique très supérieure de ces trois CD – qui paraissent un, tant les grâces abondent et tendent vers la perfection (cf. le dernier quintette avec le guitariste René Thomas) – rend justice à la performance mélodique qui marque le jeu de Bobby Jaspar, notamment à la flûte où il transcende les interprétations par cette intensité tendre qu’on aura bien du mal à trouver ailleurs. De mauvaises habitudes vont interrompre une existence qui, à 37 ans, promettait encore beaucoup. Ce précieux spicilège n’est donc pas de trop pour en revivre toute la portée.
Par Bruno GUERMONPREZ – JAZZ NEWS
Par Bruno GUERMONPREZ – JAZZ NEWS