Ray Charles s’est produit pour la première fois en France en juillet 1961 à l’occasion du festival d’Antibes. Il était alors à la tête d’une petite formation de sept musiciens. Sa carrière internationale était lancée et, trois mois plus tard, il entamait une nouvelle tournée, avec un big band de seize musiciens cette fois, qui devait le conduire à Zurich et Lyon, mais surtout à Paris où, aux quatre concerts initialement prévus, il fallait en ajouter deux pour satisfaire la demande. Alors au faite de sa popularité, il avait réussi la fusion des ses racines, le rhythm and blues et le gospel, amorçant la révolution soul qui allait secouer la Great Black Music plusieurs décennies durant. Mais, avec son passage d’Atlantic à ABC en 1960, il s’était fixé un autre objectif : réaliser le fameux crossover en direction du « grand public » - sans distinction d’origine ethnique ou sociale. Même si, fondamentalement, son chant restait indéfectiblement ancré dans la tradition noire, il allait le mettre au service de compositions jusqu’alors clairement identifiées comme « blanches ». Une stratégie gagnante qui trouvera son apogée avec deux albums, « Modern Sounds In Country and Western Music », publiés à l’époque des concerts proposés par Frémeaux dans le triple cd « Live in Paris ». Parmi ceux-ci, les prestations d’octobre 1961, sont d’autant plus précieuses que c’est la seule trace enregistrée de concerts où Ray Charles joue uniquement de l’orgue Hammond. Un instrument qui convient parfaitement à son jeu et en renforce l’aspect churchy. Les intros d’“I Believe To My Soul” ou “What’d I say” sont particulièrement substantielles, tout comme le solo de “Moanin’”. Piochant dans les trois premiers concerts enregistrés par l’ORTF au Palais des sports, le compilateur a retenu dix-huit thèmes, certains revenant deux fois au fil des prestations, car si Ray Charles ne pouvait autrement que reprendre les succès attendus du public, il laissait aussi libre cours à l’inspiration du moment. L’examen des titres interprétés montre des différences dans le choix et l’ordonnancement du répertoire d’un concert à l’autre. Ce qui reste intangible, c’est la faculté de Ray de se projeter, de s’investir dans sa musique. Il ne semble jamais si proche du nirvana que lorsque Margie Hendrix, à la tête des Raelettes, lui donne la réplique. Ses vociférations incendiaires dans « My Baby » lui tirent des râles de plaisir ! Elle tient tête aussi crânement au « patron » dans « Hit The Road Jack » ou « Tell The Truth ». Lorsque Ray Charles revient en 1962, Norman Granz a élargi la tournée à plusieurs villes européennes dont dix françaises. À Paris, Franck Tenot et Daniel Filipacchi ont retenu l’Olympia du 17 au 25 mai. L’orchestre et les Raelettes sont les mêmes, mais le Genius est à nouveau au piano. L’enregistrement, plus lumineux, le met bien en valeur tout comme le big band, brillant dans les ensembles ou les interventions de Phil Guilbeau à la trompette, David Newman ou Don Wilkerson au ténor. Le répertoire s’est enrichi des succès récents comme « I Can’t Stop Lovin’ You et Unchain My Heart ». Il inclut aussi des compositions du « poète du blues », Percy Mayfield (Hit The Road Jack, Danger Zone…). Là encore, tout est remarquable de fraîcheur et d’implication, mais la perle réside dans « Untitled Blues », une improvisation de huit minutes au piano, simplement soutenue par la basse et la batterie. En état de grâce, Ray Charles y déploie tout son savoir-faire au service d’une émotion, d’un feeling quasiment palpable. Si l’on peut remercier le compilateur de n’avoir pas présenté deux fois le même titre sur un même cd, on lui reprochera des crédits parfois fantaisistes et un séquençage arbitraire : pourquoi commencer par les titres avec les Raelettes quand on sait qu’elles sont normalement sollicitées plus tard ? Et pourquoi présenter en milieu de cd les pièces instrumentales d’introduction ? Si la sélection rend bien compte de l’étendue du répertoire, il y manque malheureusement une des très rares interventions de Ray Charles au sax alto : lors du concert du 20 mai, il avait en effet joué lui-même le thème de « Blue Stone », habituellement interprété par Hank Crawford.
Par JAZZMAG - JAZZMAN
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