« Tout un pan d'histoire indispensable à la connaissance du jazz » par Jazz Hot

« Bonne façon d'aborder une réédition. On pourrait aussi envisager les clarinettes de Jelly Roll, etc. Mais de nos jours de tels projets ne sont pas évidents. Pour celui-ci, Frémeaux & Associés a voulu une prévente par souscription qui lui évite de prendre des risques. Le problème est que les amateurs de jazz ont progressivement été remplacés par des consommateurs de «nouveautés». Le passé fait peur. Et, pour les hommages, on préfère inventer à partir du présent plutôt que de regarder le passé en face. (…) L'idée était justement de présenter ces perles du XXe siècle au meilleur niveau technique à partir de disques en bon état (Didier Périer, au son). Les amateurs de jazz chevronnés connaissent tous ces enregistrements. Autre bon point, contrairement aux choses «postées» sur YouTube vierges de tout renseignement (destruction en règle des contributions d'Hugues Panassié, Charles Delaunay, Brian Rust, Tom Lord, etc.), nous avons ici, dans le livret, tout ce qui doit y figurer: nom de l'orchestre, personnel, date et lieu d'enregistrement, titre, label, matrice, nom des solistes, nom de l'arrangeur, un nota bene pour un point de vue. Ça, c'est du travail! La sélection des titres (Laurent Verdeaux, aux choix) n'appelle pas de vraies critiques. (…) Comme Jelly Roll Morton, Fletcher Henderson (1897-1952), bon pianiste, est essentiel à l'histoire du grand orchestre de jazz et à l'art de l'arrangement. Aujourd'hui, ces deux maîtres sont regrettablement effacés par Duke Ellington. Issu de la bourgeoisie, Fletcher Henderson était mis au même niveau que Duke par les intellectuels de la Harlem Renaissance. Son orchestre après le passage de Louis Armstrong en son sein est progressivement devenu le terrain de lancement de prototypes et de références spécifiquement jazz de la trompette, du trombone (Jimmy Harrison, Benny Morton), du saxophone (Coleman Hawkins), de l'arrangement (Don Redman, Benny Carter, Fletcher lui-même). Sociologiquement, c'est aussi intéressant, car il démontre que le jazz ne s'est pas fait en un jour. Qu'il y avait une différence de culture instrumentale entre les musiciens de New York qui ont une solide formation en technique musicale européenne avec ses raideurs solfégiques et les gens du Sud qui ont une approche «lazy» de la mise en place rythmique. De ce fait, il n'est pas légitime de dire que Fletcher Henderson était «commercial» ou «imitait Paul Whiteman» dans ses premières faces orchestrales. Ils n'étaient tout simplement pas encore «jazz». C'est bien d'avoir sélectionné des disques d'hendersoniens accompagnant les chanteuses de blues. On ne dira pas suffisamment combien ce fut l'école hot et swing pour les instrumentistes par mimétisme du chant. (…) Tout un pan d'histoire indispensable à la connaissance du jazz. »
Par Michel LAPLACE – JAZZ HOT