Très riche en témoignages par Jazz Notes

« 1 h 35 de chants et de témoignages qui situent le gospel à l’origine de toutes les musiques.
Très riche en témoignages, ce document témoigne de la vitalité de la religion dans la structuration de la communauté afro-américaine à travers tout le territoire américain : “Notre musique dit que nous ne devons écouter ni blues, ni jazz, entend-on ainsi. Aucune musique profane. Je crois que nous considérons la musique classique comme la musique du diable. Le blues a de mauvaises vibrations parce qu’on la joue dans des endroits où l’on boit, où l’on danse et si la danse ne sert pas à glorifier Dieu, c’est de la musique du diable.” (Helping Hand Gospel Singers)
Ethel Holloway, de Chicago, a essayé, quant à elle de “chanter le blues en concert pour savoir si je pouvais le faire. Et ça n’a pas du tout marché.”
Dans la campagne de Blue Springs, Mississippi, Elder Roma Wilson, 90 ans, joue de l’harmonica et chante “The lord will make a way” comme il le faisait dans les années quarante.
En Floride, le révérend Aubrey Ghent, de l’Eglise pentecôtiste, dénonce les barrières entre les pentecôtistes, les baptistes et les méthodistes, espérant une hypothétique union. Lui et sa femme Lori sont conseillers en religion, ils font du gospel, de l’éducation chrétienne, évangélisent, témoignant ainsi du rôle central de l’église comme véritable institution au centre des activités de la communauté afro-américaine. Brother Daryl McCall confirme : “Nous chantons partout, dans les églises, les prisons, les hospices, les centres de désintoxication, les mariages, les enterrements. Notre sacerdoce est dans notre musique”. Aujourd’hui encore la musique reste le médium le plus vivace de la culture afro-américaine. “Il faut admettre que presque toutes les musiques viennent du gospel, le blues est né du gospel, croyez-le ou non, c’est la même atmosphère ; la même ambiance, le même style. Prenez par exemple “Don’t let the devil ride” : sans les paroles, on pourrait le confondre avec un bon blues.” (Aubrey Ghent)
Chacun des fidèles interviewés professe sa foi, raconte sa connexion avec le divin quand il a été sauvé de l’alcool ou de la drogue. Ce fut le cas de Jeffrey Newberry, des Gospel Keynotes. Brother Aaron Chestnutt, de l’African Methodist Episcopal Church de Brooklyn, montre comment, dans ce quartier de New York les cinémas, les bars sont devenus des églises depuis vingt ans. Le gospel est un remède à la violence de la société américaine.
Willy Neal Johnson, preacher du Texas, aborde la question de la dichotomie entre le sacré et le profane : “La mélodie de «Jesus you been good to me» vient du rock « I’ve been missing you», rappelle-t-il. La romancière Alice Walker a su décrire avec poésie cette ambiguïté constante dans la “Couleur pourpre”. L’article de Mimi Clar « The Negro church : its influence on modern jazz » (The Jazz Review, 1959) montra d’ailleurs de manière exemplaire les points communs entre le jazz des années cinquante (Horace Silver) et le gospel (Mahalia Jackson).
La musique jouée à l’église poursuit cette tradition qui consiste à adapter des instruments appartenant à d’autres genres comme la lap steel guitar de la musique cajun et country. Le quartet des Helping Hands Gospel Singers perpétue, lui, dans les églises de Brooklyn, le chant a capella selon la tradition des Spirit of Memphis et des Swan Silverstones.
La technique oratoire du sermon, comme la pratique Willie Neal Johnson avec les Gospel Keynotes dans « Lord I thank You », est au cœur de toutes les expressions musicales afro-américaines : que ce soit le blues, le jazz (« The preacher », « Moanin »…), la soul (Ray Charles, la Motown). L’expérience religieuse afro-américaine est un forum organisant la réalité sociale, le « preacher » assurant le continuum africain.
La religion reste vivante à travers la musique comme médium. Elle a été et reste un exutoire à la ségrégation. Elle est le ciment de la communauté. » Olivier Kociubinska – Jazz Notes