Lorsqu’il grave en 1954 ses premiers titres, Clifton Chenier a 29 ans. Il est tellement peu connu que lors de ces premières séances, le label Elko – comme le relève avec humour Jean Buzelin dans l’excellent livret – ne sait même pas orthographier son nom… Ainsi, c’est donc sous le nom de Cliston Chanier qu’il signe (à son insu !) cette année-là ses six premiers morceaux, dont cinq ouvrent la présente sélection. Malgré cela, tout est déjà parfaitement en place chez un artiste qui maîtrise toutes les facettes de son art si singulier. Dans une formule minimaliste, seulement accompagné de Big Chenier à la guitare et de Robert Pete à la batterie, il va du zydeco festif et brutal (Louisiana stomp, Rockin’ hop) à la ballade louisianaise (Country bred), en passant par la frénésie et l’urgence de « Tell me », sans oublier le blues le plus poignant avec un son d’accordéon incroyable d’intensité (Cliston blues). Tout est donc dit ou presque d’emblée, mais l’excellence et la puissance évocatrice qu’il véhicule ne retombent pas une seule seconde. Accompagné au gré des sessions de groupes plus étoffés avec des « pointures » comme Cleveland Chenier au frottoir, Lionel Prevost au saxophone et même Etta James au chant, mais aussi des guitaristes comme Lonesome Sundown et Philip Walker (notamment exceptionnel sur « Where can my baby be » alors qu’il n’a que 19 ans…), il nous submerge d’émotion sur tous les tempos, y compris parfois avec les plus inattendus qui évoquent effectivement le R&B (It Happened so fast). Un titre prémonitoire : c’est arrivé tellement vite, mais ce n’était pourtant que le début d’une carrière qui s’inscrira parmi les plus excitantes de l’histoire des musiques afro-américaines !
Par Daniel LEON – SOUL BAG
Par Daniel LEON – SOUL BAG