« Un brillant panorama » par Paris Move

« Bon Dieu, il en aura fallu du temps, pour que l’on restitue enfin aux femmes la place, essentielle, qui leur revient dans l’histoire du jazz et du blues ! Quand elles n’étaient pas reléguées aux tâches ménagères (comme le mentionne ici “Kitchen’s Blues”) ou au repos du guerrier, les toutes premières chanteuses-pianistes de ce sous-genre que constituaient alors les race records constituaient le peloton initial de cette avant-garde que l’on mettrait un bon demi-siècle à appeler le cross-over. De pétroleuses telles que Nellie Lutcher ou la délurée Julia Lee en mutines saintes Nitouches comme la malicieuse Rose Murphy (dont le “Busy Line” demeure irrésistible, et le “I Want To Be Loved By You” inspira Marylin Monroe), ce second volet de la série JAZZ LADIES chez Frémeaux & Co continue d’égrener l’impressionnante martingale d’artistes ayant illuminé les décennies primordiales du jazz enregistré. Depuis le gospel le plus fervent (de Clara Ward avec son “Blessed Assurance” et des débuts d’Aretha Franklin, elle-même fille de pasteur) jusqu’à l’incontournable Nina Simone et la grande Katie Webster, en passant par le swing jazz-blues subtil de l’alerte émule de Fats Waller, Martha Davis (dont le “Experience” ici présent préfigure manifestement le fameux “My Baby Just Cares For Me” de Nina Simone) ou celui de la délicieuse Blossom Dearie (qui épousa le saxophoniste et flûtiste belge Bobby Jaspar), voire au low-down blues des trop méconnues Louise Johnson, Paula Watson, Kansas City Kitty et Frantic Fay Thomas et au boogie-woogie, on n’a guère à creuser pour déceler l’ADN de futurs mâles conquérants tels que Nat King Cole, Charles Brown ou Ray Charles. En trois CDs, 76 plages et trente artistes, cette anthologie dresse un brillant panorama de l’apport féminin au tronc commun des musiques que l’on désigne désormais pour actuelles. Faut-il préciser que, comme de coutume, le livret abondamment documenté et commenté, ainsi que la restauration et le mastering sont à la hauteur de l’enjeu ? »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE