« Un complément fort intéressant à la précédente réédition (Frémeaux Fa5466) par Hot Club de France

Nous retrouvons ici le Ray Charles du début des années soixante, celui dont la voix et le génie ont profondément marqué toute une génération d’auditeurs et de danseurs (car, au début des années soixante, on dansait énormément sur les disques de Ray Charles, j’en ai encore mal aux genoux). C’est le moment de rappeler que son influence sur la musique populaire et en particulier sur le jazz est une des plus importantes qui soient, éclipsant celle de quelques icônes dont je ne donnerai pas les noms pour ne faire de tort à personne. Quant à sa présence sur scène, elle était comparable à celle de Louis Armstrong – et je vois mal de qui d’autre on pourrait en dire autant. La première galette est, comme le titre du coffret l’indique, consacrée au concert de Ray Charles au festival de Newport, édition de 1960. On sait que sa toute première apparition sur cette scène illustre - en 1958 – avait fait l’objet d’un microsillon Atlantic resté légendaire, comportant le « What’d I say » qui deviendrait sa signature musicale et une sélection d’autres morceaux généralement déjà connus ou très, connus. Là, nous sommes plutôt dans le compte rendu : présentation, trois orchestraux un peu décousus où on entend d’ailleurs assez peu le piano mais beaucoup le batteur – qui en fait des tonnes -,  puis on entre dans le vif du sujet : depuis « Let the good times roll » jusqu’à « What’d I say », Ray Charles n’arrêtera pas de chanter, bientôt rejoint par les « Raelets », les vraies, celles du temps de la féroce Marjorie Hendricks (en soliste et dans un état un tantinet second dans « My baby »). Mariage de gospel et de blues arrangé et catalysé par Ray Charles ! On appellera ça la musique soul. À cette époque, l’orchestre de Ray Charles comporte sept musiciens, dont cinq souffleurs. Leurs interventions en solo sont d’un intérêt et d’une cohérence variables selon les moments, mais certains sont d’excellents accompagnateurs des vocaux : les trompettes John Hunt dans « Don’t let the sun catch you cryin’ » et Philip Guilbeau dans le « I’m gonna move to the outskirts of town » du second CD ; Dave Newman (à la flûte) dans « Georgia », autre célèbre signature musicale de Ray Charles. La seconde galette, assemblage de petits bouts, commence par quelques orchestraux, dont un étonnant « Blue stone », presque entièrement joué au saxophone alto par Ray Charles sur la scène de l’Olympia. L’année suivante, au même endroit, il entrera sur scène en brandissant ce même instrument, mais juste pour en jouer assez brièvement… ici, on peut l’entendre assez longuement et se rendre compte de l’intensité avec laquelle il se donnait à la musique, indépendamment de l’instrument du moment. À l’Olympia, donc, car le voilà maintenant en Europe, pour la première fois. Après le festival d’Antibes 1961, l’orchestre est devenu un ‘big band’, dont la batterie a été confiée à l’excellent BrunoCarr et les arrangements au non moins excellent Quincy Jones, dont on vante souvent à juste titre l’habileté harmonique, mais sans assez insister sur son sens exceptionnel de la musique à danser (un arrangeur comme Sy Oliver, dans un autre style, possède aussi cette qualité, qui va bien au-delà de la simple habileté). Au fil de ce second CD, on entend aussi souvent Ray Charles jouer de l’orgue Hammond. Mais naturellement, c’est dès qu’il chante, renforcé  ou non par les « Raelets », que s’installe ce climat particulier qui submerge si facilement l’auditeur, climat largement dû aussi à son talent de pianiste. Un bon exemple, dans ce second disque : « I wonder » (enregistré à Zurich), particulièrement prenant, pris lentement, presque en caressant le tempo (nous revoilà dans la danse). Ce double CD constitue un complément fort intéressant à la précédente réédition frémeldoise du même artiste et consacrée à ses premières apparitions en France (Frémeaux FA5466), réédition dont nous avons rendu compte il y a quelques mois (cf. Bulletin 634 p. 14).
Par L.V.- HOT CLUB DE FRANCE