« Un million d’exemplaires vendus » par Vibrations

Et si, pour une fois, l’arbre ne cachait pas la forêt ? Les oripeaux et le pandémonium faisaient partie de son art, et même un peu de sa personnalité pour le moins fantasque et expansive. On ne s’est pas renseigné auprès de la soixantaine d’enfants qui peuvent se prévaloir de sa paternité, mais il semble que Screamin’ Jay Hawkins se soit accommodé du cirque grand-guignolesque de son cercueil dont il sortait chaque soir sur scène, ainsi que des gargouillis intestinaux (« Constipation Blues ») qu’il aimait présenté au public, ad nauseam. Pour meilleure preuve, on brandira surtout « I Put A Spell On You » auquel il est cruel de le réduire, mais dont personne n’ignore que c’est son meilleur titre. Une composition personnelle qu’il avait tout d’abord pensée comme une ballade blues, lui qui avait appris le métier auprès du méconnu Tiny Grimes et qui se voyait reprendre le flambeau lyrique du baryton Paul Robeson. C’est ainsi qu’il enregistre ce futur tube en 1956 dans les studios Columbia pour le compte du label Okeh. On ignore pourquoi, ce jour-là, le directeur artistique de l’auguste maison avait voulu détendre l’atmosphère d’une cabine dans laquelle on trouvait la plus forte concentration de requins de studio de New York, mais les liqueurs coulèrent à flots entre la première et la deuxième prise : « Nous étions ivres morts », se souvenait Jay. Quand il écouta, plusieurs jours après, le résultat couché sur la bande, il refusa même de croire que c’était bien lui qui chantait : « Je ne savais pas que je pouvais hurler, grogner, gémir de la sorte ». Un million d’exemplaires vendus plus tard, il fallu se faire une raison. B.G. - VIBRATIONS