« Patricia Highsmith ayant quitté notre univers d’énigmes sans attendre la grande lumière de l’an 2000, on ne saura pas de sa bouche si le Western Swing – dont un haut lieu fut sa ville natale de Fort Worth – était pour quelque chose dans son art de la claustrophobie avec suspense. On peut toujours supposer que cette country music blanche mâtinée de jazz et de blues accompagne incognito l’un ou l’autre des sombres destins explorés par la romancière. Mais il est plus sage d’en douter : celle-ci préférait l’Europe à l’Amérique malgré un penchant pour le “vieux jazz” et avait cessé de vivre au Texas à six ans, un peu avant qu’y triomphât la “Hot Dance Hillbilly Music”…
L’anthologie “Western Swing, Texas 1928-1944” ne manque pas de suspense mais ne saurait induire en erreur. Ce qu’on y entend relève plutôt d’un dévergondage assumé avec entrain par des orchestres composés d’anciens artistes de minstrel shows (Bob Wills) ou de gardiens de troupeaux prêts à tout dans les grands espaces de danse de San Antonio, Forth Worth ou Dallas. Ce Western Swing, voie de passage du jazz dans les courants hillbilly et source du rock blanc sudiste des années 50, est souvent pris de haut : on choisit d’y voir un amalgame sommaire que font oublier le jazz et le blues auxquels il multiplie les emprunts. La sélection tranquillement établie par Gérard Herzhaft retire quelques munitions aux tenants de ce point de vue. Si les violonistes qui s’expriment ici en solo n’en remontrent pas à un Venuti, ils concourent vaillamment à corseter leurs formations, où se distinguent en tout cas d’excellents guitaristes et chanteurs. Ces enregistrements illustrent aussi avec vigueur l’assimilation, dans une région au fort particularisme, des tendances musicales qui se développaient de chaque côté de la “color-bar”, sur place et en d’autres points des Etats-Unis. Quand le pianiste John “Knocky” Parker ne joue pas avec les Light Crust Doughboys, note Herzhaft, il se produit en duo à Dallas avec le jeune T-Bone Walker. Détail qui suggère, au passage, que les musiciens de Western Swing n’étaient pas sourds aux styles naissants, même si en matière de jazz ils ne surent pas s’adapter aux courants d’après-guerre. Pour ce qui est du blues, Herzhaft souligne qu’il devint vite pour eux une “spécialité”, un domaine de prédilection ouvert aux retouches. Ces deux CDs en fournissent plusieurs exemples qui mériteraient de s’inscrire dans une hérétique anthologie du “blues blanc depuis les origines”. Settle Down Blues, chanté par Buddy Jones avec Moon Mullican au piano, Blues In The Bottle (par le chanteur-pianiste Eddie Whitley au sein des Oklahoma Playboys de Jimmy Revard) et Dirty Hangover Blues, par le chanteur-guitariste Leon Huff avec les Hillbilly Boys de W. Lee O’Daniel, sont parmi les meilleurs. Des guitaristes de premier plan se font entendre dans Blue Steel Blues (Sidney Buller / Ted Daffan’s Texans), Blue Guitars (Muryel “Zeke” Campbell / Light Crust Doughboys), Whatcha Gonna Do (Sheldon Bennett / Hi-Flyers) et Twin Guitar Special (Eldon Shamblin / Bob Wills & His Texas Playboys). Souvent rivés au Texas par une activité extra-musicale, ces instrumentistes enregistraient dans les hôtels de Dallas et San Antonio pour des compagnies du Nord, à l’instar d’un Robert Johnson. Parrainés par des marques de matériel agricole, ils faisaient danser en accumulant les trouvailles et leurs chansons ne s’embarrassaient pas du puritanisme qui prévalait en d’autres parties du pays à la même époque (Everybody’s Truckin’, des Modern Mountaineers, est éloquent à cet égard). Un recueil encore sans équivalent, auquel on souhaite de ne pas toucher que des convertis. » Philippe Bas-Rabérin – Jazz Magazine
L’anthologie “Western Swing, Texas 1928-1944” ne manque pas de suspense mais ne saurait induire en erreur. Ce qu’on y entend relève plutôt d’un dévergondage assumé avec entrain par des orchestres composés d’anciens artistes de minstrel shows (Bob Wills) ou de gardiens de troupeaux prêts à tout dans les grands espaces de danse de San Antonio, Forth Worth ou Dallas. Ce Western Swing, voie de passage du jazz dans les courants hillbilly et source du rock blanc sudiste des années 50, est souvent pris de haut : on choisit d’y voir un amalgame sommaire que font oublier le jazz et le blues auxquels il multiplie les emprunts. La sélection tranquillement établie par Gérard Herzhaft retire quelques munitions aux tenants de ce point de vue. Si les violonistes qui s’expriment ici en solo n’en remontrent pas à un Venuti, ils concourent vaillamment à corseter leurs formations, où se distinguent en tout cas d’excellents guitaristes et chanteurs. Ces enregistrements illustrent aussi avec vigueur l’assimilation, dans une région au fort particularisme, des tendances musicales qui se développaient de chaque côté de la “color-bar”, sur place et en d’autres points des Etats-Unis. Quand le pianiste John “Knocky” Parker ne joue pas avec les Light Crust Doughboys, note Herzhaft, il se produit en duo à Dallas avec le jeune T-Bone Walker. Détail qui suggère, au passage, que les musiciens de Western Swing n’étaient pas sourds aux styles naissants, même si en matière de jazz ils ne surent pas s’adapter aux courants d’après-guerre. Pour ce qui est du blues, Herzhaft souligne qu’il devint vite pour eux une “spécialité”, un domaine de prédilection ouvert aux retouches. Ces deux CDs en fournissent plusieurs exemples qui mériteraient de s’inscrire dans une hérétique anthologie du “blues blanc depuis les origines”. Settle Down Blues, chanté par Buddy Jones avec Moon Mullican au piano, Blues In The Bottle (par le chanteur-pianiste Eddie Whitley au sein des Oklahoma Playboys de Jimmy Revard) et Dirty Hangover Blues, par le chanteur-guitariste Leon Huff avec les Hillbilly Boys de W. Lee O’Daniel, sont parmi les meilleurs. Des guitaristes de premier plan se font entendre dans Blue Steel Blues (Sidney Buller / Ted Daffan’s Texans), Blue Guitars (Muryel “Zeke” Campbell / Light Crust Doughboys), Whatcha Gonna Do (Sheldon Bennett / Hi-Flyers) et Twin Guitar Special (Eldon Shamblin / Bob Wills & His Texas Playboys). Souvent rivés au Texas par une activité extra-musicale, ces instrumentistes enregistraient dans les hôtels de Dallas et San Antonio pour des compagnies du Nord, à l’instar d’un Robert Johnson. Parrainés par des marques de matériel agricole, ils faisaient danser en accumulant les trouvailles et leurs chansons ne s’embarrassaient pas du puritanisme qui prévalait en d’autres parties du pays à la même époque (Everybody’s Truckin’, des Modern Mountaineers, est éloquent à cet égard). Un recueil encore sans équivalent, auquel on souhaite de ne pas toucher que des convertis. » Philippe Bas-Rabérin – Jazz Magazine