Quand on pense pianiste de jazz le nom de Jelly Roll Morton ne vient pas spontanément à l’esprit. L’autoproclamé « Inventeur du Jazz » est bien loin chronologiquement pour tous et musicalement pour certains. Il est pourtant un des maillons importants dans l’existence de notre musique favorite. Ainsi Alain Gerber, écrivain et historien du jazz, s’est il penché sur son cas à travers ce « roman autobiographique » bel oxymore d’usurpateur !
Alain Gerber fait parler Ferdinand Joseph Lamothe alias Jelly Roll Morton (Jelly Roll, suivant une des légendes, en référence à son attribut masculin aux formes généreuses du gâteau roulé à la gelée…) nous raconte ainsi son retour à la fin des années 30 après une période de désamour correspondant à l’arrivée du swing… qu’il se vante d’avoir aussi inventé ! Inspiré du récit d’Alan Lomax à partir de ses entretiens avec le pianiste le roman évoque New Orleans, sa musique, son vaudou, les producteurs requins, les musiciens surcotés, l’alcool, les bouibouis, la religion… On côtoie ses femmes dans ce monde de la nuit, de la musique.
A travers ce roman biographique avec un style à la fois lyrique et efficace, Alain Gerber nous décrit l’Amérique du début du XXè siècle. On se penche ainsi sur la société de l’époque déjà très métissée, sur la ségrégation et cette suprématie blanche qui a finalement émergé de l’abolition de l’esclavage.
On y parle jazz bien évidemment, cette concurrence entre musiciens dans laquelle, sans aucune modestie, Jelly Roll Morton se place au sommet ; voilà ce qu’il disait : « Mes disques avec les Red Hot Peppers ont montré au monde entier ce qu’il convenait de faire, si l’on voulait se prévaloir du titre de jazzman. Ils ont prouvé une fois pour toutes qu’il ne suffit pas de braire dans un instrument en enfilant sur un fil tordu toutes les idées qui vous passent par la tête, dans le désordre où elles se présentent ! » Voilà qui est clair pour lui et peut-être pas si faux encore maintenant… Il avait pourtant débuté dans les bordels de Storyville comme « professeur » , on y nommait ainsi le pianiste.
Ce Jelly Roll Morton, qu’on ne connaît guère qu’à travers ces vieilles bandes sons nasillardes, prend ainsi corps et s’humanise à nos yeux.
Philippe Desmond - La Gazette Bleue