"Une biographie parlée. Non pas tant celle d’un homme révolté, indiscipliné ou dissident, ainsi que voudrait nous le donner à contempler Nicolas Truong dans cet entretien, que celle d’un intellectuel s’interrogeant toujours sur les modèles et les moyens qui informent sa vision du monde pour les passer à l’épreuve du monde tel qu’il va, et non tel qu’on aimerait le voir aller. Résistant ? Morin le fut, qui sut aussi s’opposer au désir aveugle de vengeance de ses camarades, libérant les femmes destinées aux ignominieuses tontes cathartiques de la Libération. Communiste ? Il le fut jusqu’à refuser d’appartenir à un Parti devenu réactionnaire. Prenant position contre la Guerre faite aux algériens, il sut aussi dénoncer les méthodes expéditives du FLN. Il vécut enfin l’humiliation de se voir mis au banc des accusés par l’Etat israélien, pour avoir dénoncé sa politique palestinienne. Un homme qui sut encore réagir avec une rare conviction, cette année même, aux délations proférées à l’encontre des populations opprimées dans les banlieues françaises, victimes d’une violence sociale sans précédent, redoublée de la stigmatisation la plus parfaitement ignoble débarquée des discours crapuleux des pseudos intellectuels qui font désormais florès en France. Un homme juste, assurément, qui passa sa vie d’universitaire à poser au fond la seule question qui valait, celle de la complexité irréductible du monde, pour tenter d’accorder toujours les moyens aux fins intellectuelles et non se livrer à de commodes tours de passe-passe. Un homme de méthode donc, nécessairement engagé, ne renonçant jamais et soumettant cette méthode à d’autres fins que celles d’une pseudo pureté intellectuelle, faisant de la fraternité non pas l’une de ces valeurs closes qui ne veulent plus rien dire, mais l’engagement auprès des autres qui seul justifie la pensée. Un engagement moral, certes, mais au nom d’une éthique de l’ouverture, du questionnement. Un homme cherchant donc à toujours mieux analyser les contradictions à l’intérieur de chaque camp, s’efforçant de voir les deux aspects contraires des choses, à l’œuvre, toujours, en tout engagement comme en toute réflexion. Une biographie parlée modeste qui plus est, couvrant autant ses engagements politiques qu’intellectuels, ouvrant avec toujours plus de pertinence, in fine, à la question de l’éducation qui lui tient tant à cœur, Edgar Morin ne cessant de dénoncer un enseignement typiquement français, incapable de relier les savoirs entre eux."
par Joël JEGOUZO - BLOG MINISTRE DE LA CULTURE
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