« En matière de jazz vocal féminin, incontestable, la triade capitoline Billie (Holiday), Ella (Fitzgerald), Sarah (Vaughan). La première, tragique, torturée. Ella, non moins profonde, sans doute, mais plus enjouée, incomparable dans les standards de Broadway. Sarah, enfin, traduisant dans son scat ravageur les audaces et innovations du bebop. Sur ce point, tous les amateurs, ou presque, sont d’accord. A chacun, ensuite, de disposer selon ses goûts, dans son panthéon personnel, les divinités secondaires. Dinah Washington, Anita O’Day et autres Judy Garland et Carmen McRae y voisinent, à une place plus ou moins éminente, avec leurs consœurs plus jeunes. Celles qui ont tendance à flirter avec la pop. Nouvelle génération et melting pot généralisé obligent, ces dernières occupent, à l’heure actuelle, le haut du pavé. Qui, dans quelques années, se souviendra d’elles ? Pour s’en tenir à Ella, elle revient dans l’actualité. Grâce à l’excellente collection « Quintessence », de Frémeaux & Associés, dont j’ai déjà chanté le los dans le Salon Littéraire. Elle s’enrichit juste, cette collection, d’un nouveau coffret, !e quatrième à lui être consacré. Il propose les meilleures productions de la chanteuse entre 1956 et 1962, soit une époque où, en pleine possession de son talent et de ses moyens, elle enregistrait sans relâche. Louis Armstrong, Count Basie, Duke Ellington et leurs orchestres respectifs lui donnent la réplique. Excusez du peu. Et aussi Marty Paich, chef d’orchestre et arrangeur talentueux de la West Coast où elle travaille beaucoup en ces années. Sans compter son trio habituel et les accompagnateurs circonstanciels, musiciens de studio ou groupes rassemblés à l’occasion de festivals ou de concerts, à Newport, au Shrine Auditorium de Los Angeles, à Hollywwod. A Berlin enfin, en 1960. Un concert mémorable dont sont extraits deux classiques d’Ella parmi les plus populaires, How High The Moon et Mack The Knife, avec sa désormais traditionnelle imitation de Satchmo. Quelques-uns des chevaux de bataille de la chanteuse se trouvent ici réunis, le délicieux Moonlight In Vermont avec Armstrong, Air Mail Special, Lady Be Good, Mister Paganini. Autant de thèmes qu’elle a marqués de son sceau. Qui se plaindrait de les entendre à nouveau – ou, pour certains, de les découvrir ? Tout le charme d’Ella, son scat étincelant, son swing, sa capacité à se livrer aux variations et aux écarts que lui permet sa tessiture, tout cela conserve une séduction intacte. Même lorsqu’elle chante Noël (sur l’album de 1955 « Ella Wish You A Swingin Christmas »), Ella transcende le matériau le plus commun pour le transmuer en perle rare. Particulièrement lors de concerts captés en public où une communion chaleureuse avec l’assistance lui donne un surcroît d’élan et d’inspiration qui reste perceptible à l’enregistrement. A retenir un de ces bijoux, le Misty de 1960, en duo avec le pianiste Paul Smith. Mélancolique, touchant. Dépourvu de mièvrerie.
Le livret : soigné, copieux, quasiment exhaustif. C’est une spécialité de la maison. Une fois encore, le duo des Alain, Gerber et Tercinet, a merveilleusement rempli son office. Partage des tâches, complémentarité des informations. Au premier, le survol, les considérations générales, la réflexion, redoutablement pertinente. Il perce pour nous « le grand secret d’Ella », celui qui permet à celle-ci, au-delà des apparentes redites, des méandres entre la spontanéité et l’improvisation, simulée ou non, de rester elle-même. Mieux encore, de s’accomplir. Au-delà du seul cas de la chanteuse, quelques vérités qu’on a plaisir à trouver sous une plume aussi autorisée. Elles ne s’inscrivent pas précisément dans ce que la doxa actuelle professe sur le jazz. D’autant plus savoureuses, bien sûr. Au second, tous les détails sur les circonstances des enregistrements et les commentaires sur les morceaux. La précision de l’historien, la saveur du conteur d’anecdotes, toujours puisées aux meilleures sources. Il en ressort le portrait d’une Ella au caractère bien trempé, comme le révèlent ses démêlés avec Norman Granz, son manager. Une Ella vivant dans et pour la musique. « Elle respirait la musique, assure le pianiste Jimmy Rowles. Quand elle marchait dans la rue, elle semait des notes. » Trop joliment dit pour ne pas être vrai ! »
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE
Le livret : soigné, copieux, quasiment exhaustif. C’est une spécialité de la maison. Une fois encore, le duo des Alain, Gerber et Tercinet, a merveilleusement rempli son office. Partage des tâches, complémentarité des informations. Au premier, le survol, les considérations générales, la réflexion, redoutablement pertinente. Il perce pour nous « le grand secret d’Ella », celui qui permet à celle-ci, au-delà des apparentes redites, des méandres entre la spontanéité et l’improvisation, simulée ou non, de rester elle-même. Mieux encore, de s’accomplir. Au-delà du seul cas de la chanteuse, quelques vérités qu’on a plaisir à trouver sous une plume aussi autorisée. Elles ne s’inscrivent pas précisément dans ce que la doxa actuelle professe sur le jazz. D’autant plus savoureuses, bien sûr. Au second, tous les détails sur les circonstances des enregistrements et les commentaires sur les morceaux. La précision de l’historien, la saveur du conteur d’anecdotes, toujours puisées aux meilleures sources. Il en ressort le portrait d’une Ella au caractère bien trempé, comme le révèlent ses démêlés avec Norman Granz, son manager. Une Ella vivant dans et pour la musique. « Elle respirait la musique, assure le pianiste Jimmy Rowles. Quand elle marchait dans la rue, elle semait des notes. » Trop joliment dit pour ne pas être vrai ! »
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE