« Dans la série François Jouffa présente, Frémeaux offre en 3 CD un magnifique panorama du rock’n’roll chanté dans la langue de Molière en France (CD 1 & 2) et au Québec (CD 3) avant 1960 (ou presque) : « ANTHOLOGIE DU ROCK 50 EN FRANÇAIS » (75 titres, livret 24 p., Frémeaux FA 5479). Responsable de la compilation et du texte du livret où l’érudition le dispute à l’acuité de la perception, Pierre Layani, aidé par Léo Roy pour la partie québécoise (voir JBM N°329), met à la disposition du plus grand nombre un phénomène souvent méconnu, car occulté par le raz-de-marée Johnny Hallyday en 1960. Or, à partir de 1956 et du succès planétaire de Bill Haley puis d’Elvis Presley, le rock’n’roll touche tous les pays du monde occidental. Chez nous cela est mal perçu par le milieu musical tenu en grande partie par les jazzmen qui y voient une vulgarisation de leur musique, mais qui s’y mettent, pour s’en moquer et/ou pour répondre à une demande grandissante. Boris Vian, Michel Legrand et Henri Salvador, sous différents pseudonymes, commettent quelques disques qui vont devenir, en dépit de leurs intentions parodiques, des chefs d’oeuvre du genre qui s’écoutent toujours avec jubilation. « Rock’n’Roll Mops », « Rock Hoquet », « Va T’Faire Cuire Un OEuf Man ! » par Henri Cording Salvador, l’osé pour l’époque « Fais-Moi Mal Johnny » et « Alhambra Rock » par l’actrice Magali Noël comptent parmi les fleurons. Même si ces talentueux mais peu sympathiques personnages n’ont jamais loupé une occasion de dénigrer ces titres, même 50 ans après ! Peu auparavant, le batteur chanteur gitan Mac-Kac enregistre avec l’aide de Sacha Distel « T’Es Pas Tombé Sur La Tête », l’hymne de comptoir « J’Vais M’En J’ter Un Derrière La Cravate » et le délirant « T’Es Partie En Socquettes ». Dès lors jouées et chantées par de truculents artistes hauts en couleur et piliers des club de jazz parisiens comme Moustache, galéjades et autres pantalonnades parfois surréalistes se succèdent sur des rythmes jump empruntés à Bill Haley et Freddie Bell, dont la prestation à l’Olympia en 1957, un an avant les Comets, n’est pas passée inaperçue pour tout le monde. Saxophones et pianos se taillent la part du lion ! A part le guitariste corse Marcel Bianchi qui a assimilé le jumpblues de T.Bone Walker (« Roule-Toi Dans L’Rock » sous le pseudonyme Johnny Rock Guitare), il faut attendre la décennie suivante et le phénomène social des groupes pour que la guitare devienne chez nous l’instrument roi du rock ’n’roll. Dick Rasurel & Ses Berlurons, Chou Rave Hageur, Ferry Rock Barendse, les humoristes Roger Pierre & Jean- Marc Thibault, les ténors Luis Mariano et Georges Guétary proposent des tempos frénétiques qui balancent bien, à défaut de générer l’identification pour la jeunesse qui attend toujours son Elvis français. Et ce malgré les premiers pas de Richard Anthony, Claude Piron et Danyel Gérard. La proximité des USA, les concerts d’Elvis Presley et un mode de vie américain font que le rock’n’roll québécois se rapproche plus du modèle originel, avec des parties de guitares pour certaines virtuoses (« Yakety Yak-Rouspet Pas » et « Charlie Brown » par les Jérolas) et de nombreux solos de steel guitar. Ce disque, toute première anthologie R’n’R québécois, est une véritable révélation. La plupart des titres, non disponibles en CD, ont été repiqués sur les vinyles originaux. La musicalité et l’entrain qui s’en dégagent sont contagieux même si, là aussi, la plupart des interprètes sont des artistes de cabaret ou des cowboys chantants. Pour se mettre de bonne humeur le matin, « Rock’n’Roll A Cheval » (Willie Lamothe), « Le Rock’n’Roll Dans L’Lit » (Léo Benoit), « Rock’n’Roll Du Père Noël » (Marcel Martel) sont des remèdes garantis. Slap back echo émulant le son Sun, guitares en picking, swing irrésistible servent des chanteurs dont le savoureux accent québécois emporte l’adhésion. Ce CD vaut à lui seul l’achat du coffret et, dans un élan d’émotion et de plaisir incontrôlables, crions Vive le rock du Québec libre ! »
Par Tony MARLOW – JUKEBOX MAGAZINE